Panelistes :

Jim Campbell, Directeur du Département personnels de santé à l’OMC

Amit Sengupta, Coordinateur mondial adjoint, Mouvement populaire pour la santé

Judith Kiedja, Assistante Secrétaire générale, Association d’infirmières et de Sages-femmes de Nouvelle-Galle du Sud, Australie

Boubacar Bobaoua, Président du Syndicat Unique de la Santé et de l’Action Sociale (SUSAS), Niger

Irina Lizenko, Présidente de l’organisation régionale des Vladivostok, Syndicat des travailleurs du secteur de la santé de la Fédération de Russie.

 

Ce panel précédait la discussion autour du chapitre du programme d’action portant sur les soins de santé.

Introduction

 Depuis plus de cinquante ans, l’accès aux services de santé relève des droits de l’homme. Ce principe se reflète dans les constitutions de nombreux pays. En dépit d’améliorations significatives, notamment dans les pays industrialisés, nous sommes pourtant encore très loin de garantir le droit à la santé pour tous.

Bien que cette aspiration ne soit que rarement contestée, l’hégémonie rampante de la logique du marché compromet sa réalisation. Au prétexte que nous ne pourrions plus nous permettre d’investir davantage, les financements ont été réduits et une participation financière des usagers a été instaurée. Cette forme de marchandisation, ainsi que d’autres, creusent encore les inégalités en matière de santé. Chaque année, plus de 150 millions de personnes basculent sous le seuil de pauvreté en raison de dépenses de santé non couvertes par l’assurance-maladie.

Les PPP et les services privatisés détournent l’argent du système de santé pour remplir les coffres des entreprises. Les grandes sociétés du domaine de la santé et des assurances exercent des pressions sur les gouvernements tandis que les multinationales pharmaceutiques manipulent les règles du commerce international et de la propriété intellectuelle dans le but de protéger leurs bénéfices monopolistiques. La capacité à réagir aux crises est compromise, en particulier dans les systèmes de santé fragiles, à l’instar de l’Afrique touchée par Ebola.

Les recommandations de la Commission de haut niveau des Nations Unies sur l’emploi et santé et la croissance économique (UN COMHEEG), en 2016, démontrent les bienfaits pour l’économie de l’investissement dans les soins de santé. Les conclusions de la réunion tripartite de l’OIT, en 2017, mettent en lumière la nécessité d’éviter la pénurie mondiale prévue de 18 millions de travailleurs/euses de la santé en 2030. Ces recommandations et conclusions exigent que nous améliorions les conditions de financement, d’emploi et de travail dans le secteur des services de santé.

L’ISP y a répondu à travers le lancement, en 2016, de la campagne en faveur du droit humain à la santé. Parce que l’universalité des soins de santé n’est pas un rêve. Parce que les richesses mondiales sont bien assez suffisantes pour y parvenir. Parce que ce qui manque, c’est la volonté politique. Et nous devons y œuvrer pour y remédier.

 

 

Quelques chiffres :

 

–          La mort de 2 millions d’enfants chaque année pourrait être évitée si le financement privé des soins de santé redevenait public

–          150 millions de personnes doivent chaque année faire face à une catastrophe financière personnelle pour devoir faire face à des dépenses de santé

–          75 % des nouveaux médicaments approuvés aux Etats-Unis entre 1993 et 2004 sont issus de la recherche financée par des fonds publics

–          L’Afrique perd chaque année au minimum 50 milliards de dollars à cause de l’évasion et la fraude fiscale

 

Comparaison des dépenses publiques et privées en soins de santé en Belgique et aux Etats-Unis :

Financement public de la santé (en % du PIB) : USA = 8,29 / Belgique = 8,17

Financement privé de la santé (en % du PIB) : USA = 9,10 / Belgique = 2,71

Espérance de vie à la naissance : USA = 68,3 ans / Belgique = 81,1 ans

Taux de mortalité infantile (%) : USA = 0,65 / Belgique = 0,41

 

  

Jim Campbell, Directeur du Département personnels de santé à l’OMC

 Depuis peu, un partenariat a été mis en place entre l’ISP et l’OMS. La Constitution de l’OMC établit que tout un chacun doit pouvoir bénéficier de l’accès au niveau de soins de santé nécessaire pour une vie digne. Aujourd’hui, les soins de santé sont pris pour cible à travers des attaques du privé sur les établissements de santé, la surmédicalisation en lieu et place de la prévention, ainsi que la commercialisation des soins de santé.

Dans certains pays, c’est le privé qui a en charge la délivrance de 50 à 70 % des soins de santé, ce qui empêche l’accès du plus grand nombre à ces soins.

Les agents de santé ont un rôle à jouer, ils peuvent être agents de changement et en ce sens portent une responsabilité dans la lutte contre la commercialisation.

En ce moment-même, au moins 10 actions syndicales sont en cours dans le monde, opposant travailleurs de la santé et gouvernements.

La privatisation a engendré l’explosion des instituts médicaux privés, des universités et des écoles privées. L’austérité a un énorme impact sur la santé publique également, qui est parmi les premiers secteurs à trinquer lors des coupes budgétaires.

Or, l’OMS affirme qu’une couverture de santé individuelle publique est abordable dans tous les pays. Certains devraient certes d’abord bénéficier d’aides de solidarité au début, mais pour la plupart des Etats il s’agit avant tout d’une question de priorité.

Les investissements publics dans le secteur de la santé ont de nombreux avantages, parmi lesquels l’amélioration de la sécurité sanitaire mondiale, la garantie d’une juste répartition genrée dans la force de travail, et la possibilité de remplir les objectifs de développement durable.

 

 

 

Amit Sengupta, Coordinateur mondial adjoint, Mouvement populaire pour la santé

En 1978, la Déclaration de Alma-Ata sur les soins de santé primaire est signée par l’OMC. Les peuples prenaient en main leur propre vie et leur système de santé. Mais l’encre de cette signature n’était pas encore sèche que des processus pour lui porter atteinte étaient déjà mises en place.

Dans les années 80-90, les institutions internationales telles que la Banque mondiale et le FMI ont discrédité les systèmes de santé publics et encouragé les Etats, notamment via les plans d’ajustement structurels conditionnant l’octroi de prêts aux pays en voie de développement, à désinvestir les systèmes de santé et d’éducation, sous prétexte que le privé était plus efficace.

Il existe une contradiction intrinsèque entre le marché et le droit à la santé. Autant demander au renard de s’associer avec le lapin !

À partir des années 2000, ces mêmes institutions sont revenues sur leurs précédentes recommandations et ont conseillé aux Etats de revoir les investissements publics de santé à la hausse. Mais le vers était dans le fruit, et dans beaucoup de pays, le mal était fait.

Ce que l’on nomme « ouverture » sanitaire universelle consiste à présent, dans de nombreux pays, en un appui public à une expansion des services de santé privés (d’ailleurs, le mot « couverture » est un mot emprunté au système d’assurances privées).

Souvent, on entend dire que « peu importe que les prestataires de soins soient publics ou privés, du moment que les gens aient accès aux soins ». Mais la question est beaucoup plus fondamentale que cela, et la différence est aussi réelle que lourde de conséquences.

Il importe d’être vigilants, car si l’on répète un mensonge suffisamment de fois, les gens finissent par croire que c’est la vérité ». C’est exactement ce qui se passe avec l’idée répandue selon laquelle les services de santé privés seraient plus efficaces que dans le public : à force d’être répétée, elle entre dans les esprits.

La privatisation prend des allures larvées, par exemple, dans les hôpitaux, certains services sont saucissonnés et privatisés de façon séparée, tels que le nettoyage, les ambulances, etc., puis en fin de compte on privatise les services de santé proprement dit, car il n’y a plus personne pour parler en leur nom. Dans certaines régions d’Inde, le secteur privé n’intervient pas car les gens n’y sont pas assez riches pour pouvoir payer les soins.

Au niveau de l’OMS, certains fonds auparavant consacrés à certains domaines d’intervention ont volontairement été laissés en-dehors de l’OMS pour être ensuite compensés par le privé. Cela est, faut-il le dire, une grave erreur.

Les syndicats doivent assurer le leadership des mouvements de santé. Sinon, ce qui est public ne sera plus que quelques miettes de charité.

 

Judith Kiedja, Assistante Secrétaire générale, Association d’infirmières et de Sages-femmes de Nouvelle-Galle du Sud, Australie

L’association des sages-femmes de la Nouvelle-Galle du Sud en Australie mène actuellement une lutte acharnée contre la privatisation du secteur.

Malheureusement, la plupart des gens ne comprennent pas le sens du terme « privatisation », ni le danger qu’il représente. Une grande campagne est actuellement menée dans cette région d’Australie pour sensibiliser aux dangers et aux conséquences de la privatisation. Quand un centre de santé est privatisé, on n’a plus aucun contrôle en tant que travailleurs ou en tant que patient, sur l’usage qui est fait de l’argent, ce qu’il y a dans les contrats, et tous les bénéfices vont aux actionnaires.

Dans certains hôpitaux du pays, certains services sont déjà privatisés de façon individuelle, tels que les soins palliatifs, la santé mentale, la dialyse, l’imagerie médicale, … Or, personne n’est informé de cela, et les travailleurs sont priés de ne pas en parler. Le service public est ainsi en cours de démantèlement progressif.

Le secteur public de santé en Australie fonctionne plutôt bien, or malgré cela, et malgré une campagne syndicale de sensibilisation, deux hôpitaux publics à Sidney ont été privatisés récemment, sans consultation aucune. Et le gouvernement régional de Nouvelle-Galle du Sud a annoncé il y a peu la privatisation prochaine de 6 hôpitaux publics supplémentaires. (Le gouvernement a pour mission de privatiser tout ce qu’il a sous la main dans cette région, et ce pas uniquement dans le secteur de la santé, les transports publics sont également dans le collimateur)

 

Une large campagne a été mise en œuvre par les trois principaux syndicats du secteur, à l’attention des communautés rurales qui allaient être les principales victimes de cette décision. Ces communautés ont compris les enjeux et avec l’aide des syndicats, se sont approprié le défi de garder les hôpitaux hors des mains du privé. La politisation de cette lutte des affiliés a été fondamentale et a permis une vraie influence de leur part sur les décideurs. Et cette organisation et capacitation des membres a permis, en fin de compte, de garder 5 des 6 hôpitaux dans le secteur public. Le sort du 6ème est toujours en discussion : le gouvernement veut le mettre aux mains d’une ONG, mais nous nous opposons à cette option, qui équivaut en fin de compte à une autre forme de privatisation.

La santé et le service public doivent aller main dans la main et il en va de la responsabilité de nos représentants de protéger cette alliance. Le syndicat se doit de stopper le recours aux PPP et à la privatisation. Les services privatisés ne sont pas plus efficaces, et c’est chez eux que se trouvent les plus longues files d’attente ! Toute réforme développée sans les syndicats et les travailleurs acteurs de santé défenseurs des services publics risque d’être développée contre ces travailleurs ! Pour cela, nous nous devons, en tant que syndicat, de nous impliquer et nous imposer dans la mise en place d’un environnement propice et favorable à la juste répartition des richesses, à la promotion du bien commun et de la santé publique. Les mécanismes de contrôles sont, pour cela, fondamentaux, et doivent s’appliquer à l’ensemble du secteur public.

 

Boubacar Bobaoua, Président du Syndicat Unique de la Santé et de l’Action Sociale (SUSAS), Niger

L’épidémie d’Ebola a connu une telle ampleur car le système de santé public des pays touchés avait été détruit. Cela est indéniablement une des causes de de l’immensité de la catastrophe.

10 % du personnel de santé actif pour lutter contre l’épidémie est décédé des suites d’un manque de protection adéquat !

« Si tout était parfait et normal, il n’y aurait pas besoin de syndicats ».

Or, tout est loin d’être parfait et normal en Afrique de l’Ouest.

Le tissu social est totalement décousu. Seuls les syndicats travaillent à la mise en œuvre du droit à la santé, tant en ce qui concerne l’amélioration de l’accès à la santé pour la population que celle des conditions de travail des agents de la santé publique. Si les syndicats n’avaient pas été actifs dans les régions où l’épidémie s’est propagée, elle aurait été bien pire. Les pays qui n’ont pas été touchés par la maladie ont pu mettre en œuvre des mesures de prévention grâce aux campagnes de sensibilisation des organisations syndicales, notamment grâce à une réunion régionale organisée par l’ISP. Les syndicats ont ainsi pu mettre en place un système d’information, de prévention, de sensibilisation, de collecte et de suivi.

Cette campagne a également mené à la hausse des budgets consacrés à la santé publique -ceux-ci étant d’ordinaire extrêmement bas- et à la tenue de campagnes de vaccination pour éviter la propagation d’autres maladies.

Les personnes qui perdaient leur vie en tentant de sauver d’autres vies ont pu être mieux protégés et équipés, et la sensibilisation des agents et de la population a finalement permis d’éviter un plus grand désastre. Car la plupart des décès de travailleurs était dû à un manque d’information d’une part, et à un manque d’équipement de protection d’autre part.

 

Irina Lizenko

Les syndicats sont les seules organisations qui défendent nos droits en tant que travailleurs du secteur de la santé, et qui nous assurent une protection sociale.

Elle travaille dans l’est de la Russie, là-bas les syndicats sont garants du dialogue social et du salaire garanti, ainsi que d’une évaluation permanente des infrastructures et du matériel de travail, car souvent les lieux sont mal équipés et rendent le travail dangereux et difficile.